J’ai fait une campagne sur le Cévennes, un cargo des
Chargeurs Réunis qui avait un membre d’équipage un peu particulier.
Le
radio s’était pris d’affection pour un bouc qui vivait à bord et qui était
devenu la mascotte du bateau. Le bouc le suivait à terre dans tous les mauvais
lieux. Le radio faisait ses virées en taxi (parce que, en général, les ports
sont loin du centre) et le bouc l’accompagnait dans la voiture et
jusqu’aux bars où il consommait autant que son maître, pour ne pas dire davantage. Avec
le radio il se spécialisait dans le pastis mais il n’était pas sectaire. Dès
que quelqu’un partait à terre, le bouc l’accompagnait et, une fois dans un bar, le bouc trouvait toujours un client pour lui payer la tournée.
L’aller était facile car le bouc ne demandait pas
mieux que de se dégourdir les pattes à quai. Il suffisait d’ouvrir la porte du
taxi et le bouc se précipitait, de peur qu’on ne lui interdise la
virée. Une fois, le chauffeur avait eu la mauvaise idée d’ouvrir ses deux portes
avant. Le bouc avait sauté tellement vite sur le siège passager que le
chauffeur était tombé par terre.
Pour le retour, c’était une autre affaire : à jeun le
bouc n’était jamais disposé à sortir du taxi pour rentrer à bord. Toute l’astuce
était de s’assurer que le bouc soit suffisamment saoul.
Il vivait en bon camarade avec tout l’équipage et il surveillait le bord
comme un chien de garde. Il faisait sa ronde. Quand arrivait un étranger il
fonçait droit dessus.
Hélas, l’histoire a mal fini. Le Cévennes transportait du charbon. En
général on fermait les cales et le bouc avait l’habitude de vadrouiller librement dessus.
Mais ce jour-là, je ne sais pourquoi, la cale était restée ouverte et le bouc avait dû boire un peu
plus que d’habitude. Il est tombé au fond. Jambes brisées.
J’ai essayé de
retranscrire l’enregistrement qui date du 21 septembre 2011 mais il m’a fallu
combler des vides dans des passages qui ne sont pas audibles.
En recherchant sur
internet une photographie du Cévennes, j’ai eu la surprise de découvrir que le
bouc est devenu une légende. Il a les honneurs d’un livre (Georges Tanneau, Figures de proue et Gueules de raie, éditions Coop-Breizh) et d’un site
d’anecdotes sur la marine (http://www.la-mer-en-livres.fr/cevennes.html). C’est exactement le même thème que celui que le
Pingouin – témoin direct – racontait : avec des détails en moins et des
détails en plus : comme les grands mythes l'histoire du bouc s'est étoffée ! On y apprend par exemple que le bouc aurait fait une
virée à Nantes et qu’il aurait affolé la population sur la place Royale.
Ici finissent les souvenirs et le blog du Pingouin.
Au vu de la photographie le Cévennes n'était pas un cargo des chargeurs-réunis mais de la compagnie Delmas-Vieljeux. Mon père commandant (en retraite) à la Delmas me le confirme de sa voix trainante... "Mais... Bien sûr... Qu'il y avait un bouc... Sur le Cévennes". Il ne m'en avait jamais parlé à ce jour.
RépondreSupprimerBonjour,
SupprimerJe réponds (très tard !) pour mon père qui n'est plus de ce monde. Je vous remercie beaucoup pour ce témoignage et cette rectification !