jeudi 6 janvier 2011

S.S. FAUZON : la traversée




Donc, après une semaine de chargement, en juillet 1948, nous appareillons avec de la ferraille dans les cales. Mais nous ne traversons pas immédiatement l'Atlantique : nous faisons escale sur rade à l’ile Madère pour nous ravitailler en combustible. Et en route pour l’Amérique du sud !

Traversée monotone rythmée par les coups de cloche marquant les heures et les relèves de quart, ainsi que par l'entretien du navire (piquage et grattage de rouille puis peinture des extérieurs et intérieurs). Nous passons les tropiques et l'équateur avec les baptêmes traditionnels. Pour ma part c'est à ce moment que je me suis mis à l’espagnol avec la « méthode Assimil ». L’abattage des porcs et des bœufs se déroule au fur et à mesure des besoins.

Quelques 25 jours après le départ d’Anvers, nous arrivons à Montevideo pour quelques heures de déchargement et nous rejoignons Buenos-Aires, port qui se situe juste en face dans l’embouchure du Rio de la Plata. Je pense alors à ce cuirassé allemand le "Graff von Spee" qui, pourchassé par deux petits navires anglais l’Ajax et l’Exeter, était venu s’échouer à cet endroit à toucher l’Uruguay, pays neutre.

Nous voici donc courant Novembre 1948 à quai en Argentine. Peron et Evita étaient alors au pouvoir et, une fois passés la Douane très tâtillonne et l’immigration, nous avons commencé à décharger à un rythme très irrégulier.

Il y avait un Foyer du Marin très actif tenu par une Française ayant épousé un Anglais. Miss P… organisait des réunions, des rencontres, des matchs de football entre navires, des échanges de livres de bibliothèque. Tous les marins connaissaient « El hogar del marino francés » et son adresse.

Nous sommes repartis la veille de Noël 1948 sur lest mais avec deux nouveaux porcs et bœuf vivants : en route pour les U.S.A dans le cadre du plan MARCHALL !

Nous arrivons sur rade de New York à l'aube, en janvier 1949. Me voici devant la statue de la Liberté :

Si nous apercevons la statue de la Liberté, nous voyons aussi s'approcher les vedettes de l’immigration et des douanes qui viennent nous contrôler : pas de problème jusqu'à ce que, arrivant sous le gaillard d'avant, ils tombent en arrêt devant un animal... un bœuf ! un boeuf vivant ! Il nous est donc interdit d'aller à quai : il nous faut l'abattre et mettre au rebut les abats, les peaux, etc. qui seraient à remettre pour destruction aux services adéquats.

Bref, il a fallu faire vite, nettoyer et désinfecter. Les ordures ayant été collectées nous avons pu nous mettre à quai le soir même sous le pont de Manhattan. Là, nous avons ouvert les cales et les opérations de chargement composé de matériel divers et d'engins lourds ont débuté.

Pour ceux qui n’étaient pas de garde nous sommes partis à la découverte de ce qui nous apparaissait comme un el dorado, car nous sortions à peine des restrictions et des tickets de rationnement ! L'éclairage était au néon quand certaines ampoules en France étaient encore aux filaments de carbone ! Profusion de tout ! Nous étions éblouis !



Cinq ou six jours de chargement et en route ! D'abord pour Philadelphie et ensuite pour Baltimore afin de compléter le chargement par des fûts d’huile principalement.

De retour en Europe, nous découvrons Dunkerque, Hambourg : tous ces ports en ruine ! Plus tard, au Havre, nous chargeons pour Beyrouth.