dimanche 2 mars 2014

Uniforme

Celui qui écrivait ces lignes est mort il y a deux ans mais il a laissé deux témoignages qui étaient en préparation. Je trouve dommage d'en priver les lecteurs. Attention, cependant : "En préparation" signifie que des inexactitudes y subsistent. Par exemple, il m'avait affirmé que le texte qui suit (qui est le plus abouti) contient des erreurs. Une fois ces précautions prises, il est temps de parler d'uniforme...


J’ai fini mon service militaire le 12 ou 13 mai 1953 (j'avais 24 ans). Notez, au passage, que je devais servir 18 mois mais nous avions réussi à les ramener à 12. Je reçois alors un ordre de partir à Dunkerque pour embarquer sur un bateau nommé Pilote Garnier, dont j'ai trouvé une image sur internet :
  

C'était une chance inespérée pour un jeune lieutenant sans le sou ! J’arrive à Dunkerque avec mon camarade Iffic et là, une sacrée mauvaise surprise nous attend : nous nous apercevons que, si l'armateur nous a fait venir, c’est parce qu’il y avait des grèves sur les lignes d’Indochine. Du fait de la guerre d'Indochine, en effet, les syndicats refusaient l’appareillage et l’arrivée des bateaux qui transportaient des armes. Les officiers qui étaient déjà à bord avaient décidé de participer au mouvement et ils nous accueillirent par ces mots : « Bon, les gars, on se met en grève, hein ? »

Nous ne pouvions pas supporter d'aider une guerre pareille, mais nous étions pris au piège. Iffic et moi, nous sortions du service, nous avions besoin d’argent et, par-dessus le marché, nous avions signé une sorte d’engagement écrit à l’égard de la compagnie des Chargeurs Réunis (qui était l’armateur du Pilote Garnier) : contre notre signature, ils nous avaient accordé 6000 francs par mois pendant que nous étions au cours de lieutenant, ce qui nous permettait de payer notre chambre. Il aurait fallu tout rembourser et nous n'avions pas un sou. Que faire ? Je jette un coup d’œil dans les documents de bord qui énuméraient la cargaison et, à l’examen, il n’y avait pas grand-chose pour l’armée, sauf du fil de fer barbelé. Alors, la mort dans l'âme, nous avons décidé de voter contre la grève, tout comme un officier-machine.

Iffic et moi, nous étions lieutenants à ce moment, l’un comme l’autre nous pouvions occuper la fonction de premier lieutenant, mais il m’a laissé ce rôle : il n’avait pas le cœur à l’être dans ces conditions. On ne partait pas de gaieté de cœur, croyez-moi : nous sentions que nous étions pris en otage.

C’est pratiquement en arrivant sur rade de Port-Saïd que j’ai ouvert ma cantine où se trouvaient mes vêtements. Les Chargeurs Réunis exigeaient que les officiers soient en uniforme : il me fallait m'en procurer un d'urgence. Comme ça ne coûtait pas cher à Port-Saïd et qu’on le savait, Iffic et moi nous nous sommes fait prendre les mesures chez un tailleur libanais, et nous avons récupéré le costume au retour. Le tailleur avait confiance en nous : il connaissait notre nom et il pouvait nous joindre par l’agence de la compagnie à Port-Saïd.

Sur le mien, il n’y avait pas de galons parce que je comptais utiliser l'uniforme comme un simple costume, pour mon mariage. Les galons sont venus après...